Photo qui coiffe le billet : Le bateau Cléricy sur la rivière. Auteur et date inconnus. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda. Collection Annette La Casse Gauthier, P69.
Un texte de Guillaume Marcotte, historien
Les rapides de l’Esturgeon (Name Pawitik, pour les Anicinabek) sont situés sur la rivière des Outaouais, au nord du lac Simard. Au début du 20e siècle, les activités de prospection minière débutèrent en Abitibi. La principale route d’eau qui servit aux prospecteurs et aux transporteurs de marchandises désirant se rendre dans la région de Rouyn-Noranda était alors celle qui passait, à partir du Témiscamingue, par la rivière des Outaouais et la rivière Kinojévis, jusqu’aux lacs Routhier et Rouyn, et éventuellement Osisko. Les rapides de l’Esturgeon étaient, à cette époque, le seul obstacle majeur à la navigation le long de ce trajet, et c’est pourquoi on y construisit alors un poste relais pour faciliter le passage des marchandises sur le portage. Notre équipe de recherche s’est rendue sur les lieux à l’été 2020 dans le but d’en apprendre plus.
C’est en 1923 qu’une véritable ligne de transport commercial fut mise sur pied par la Compagnie de navigation de Ville-Marie. Cette dernière employait un bateau à vapeur à partir du Riordon Depot, sur la Baie Gillies au lac des Quinze, jusqu’aux rapides de l’Esturgeon, où de plus petits bateaux prenaient le relais, de l’autre côté du portage. Au début de l’utilisation commerciale de cette voie d’eau, c’était la famille Dumulon qui gérait la portion nord du trajet, de manière indépendante. Le transport commercial par bateau, qui servait à acheminer travailleurs, familles et marchandises jusqu’à Rouyn, connu finalement un déclin rapide après l’automne 1926, en raison de l’arrivée à ce dernier endroit du chemin de fer et de nouvelles routes terrestres.
Le bateau Cléricy sur la rivière. Auteur et date inconnus. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda. Collection Annette La Casse Gauthier, P69.
Plusieurs infrastructures ont été décrites dans les archives, mais aussi par des aînés rencontrés par notre équipe. On trouvait dans le poste relais un camp de garde-feu, mais aussi une auberge où les voyageurs s’arrêtaient souvent pour une nuit, afin de couper leur trajet en deux. Un autre camp, de même qu’une cache, ont par ailleurs été construits aux rapides de l’Esturgeon par les Dumulon en 1923. Le camp servait entre autres de magasin. Le responsable de l’endroit était alors Arthur Dumulon, assisté d’un cuisinier. Un nommé Alonzo Frappier entretenait des chevaux pour le transport dans le portage. Ces bêtes de somme tiraient de grands « traineaux », munis de patins de bois, sur le portage. D’autres sources mentionnent plutôt que le portage comportait des « rails » pour faciliter le transport, qui pouvait s’effectuer sur ceux-ci à l’aide de plateformes tirées par quatre chevaux. On mentionne ailleurs un nommé Joe Jecquis, qui aurait aussi été responsable des opérations de portage.
C’est en 1924 que la compagnie Riordon établit son camp de drave nommé le « Boom Camp » un peu au sud des rapides de l’Esturgeon, pour accueillir le bois en provenance de la rivière Kinojévis, où les coupes commençaient à prendre de l’importance. Le bois flotté s’y accumulait, et ce jusqu’au pied des rapides de l’Esturgeon en amont. Au printemps 1925, la Canadian International Paper Company (CIP) fit l’acquisition des concessions forestières de la Riordon, incluant leurs infrastructures. Elle avait par ailleurs installé un long câble de métal entre les deux rives de la rivière, juste en amont des rapides, afin de faciliter les opérations visant à faire débloquer les piles de billots pouvant s’y entasser. Il y avait également dans les années 1930, sur la rive sud du rapide, un camp appartenant à un chasseur anicinabe du nom de Jean-Baptiste Pijish.
Jean Lapointe aux rapides de l’Esturgeon. Auteur inconnu, 1925. Source : Annette R. Gauthier, 1977, « J’ai vu naître et grandir ces jumelles ». Mgr Albert Pelletier, P.D., p. 38.
Lors de notre visite en septembre 2020, plusieurs vestiges de camps étaient toujours visibles, de même que l’ancrage du câble qui passait jadis d’un côté à l’autre de la rivière. Bref, la majorité des emplacements des infrastructures mentionnées par les sources écrites et les témoignages des aînés ont pu être retrouvées et nécessitent maintenant d’être investiguées plus à fond afin de préciser l’usage de chaque bâtiment. Par ailleurs, la pratique d’une agriculture à petite échelle a pu être confirmée, ce qui n’a rien d’étonnant quand on considère que des chevaux, mais peut-être aussi des bœufs, ont été utilisés pour tirer les lourdes charges dans le portage.
Note : Nous remercions chaleureusement Lylas Polson, Gérald Richard et Pierre Dumulon pour leurs témoignages et informations précieuses portant sur ce site historique.