Photo qui coiffe le billet : Figure 1 (détail) – un vase de type Laurel. Provient du site Nault (ClGt-2). Photographie de Guyane Beaulieu (2019). Source : Corporation Archéo-08.
Un texte de Guyane Beaulieu, archéologue
L’étude des objets et de leurs modes de fabrication offre des informations sur les personnes qui les ont produits. La fabrication de la poterie par exemple, nécessite une fine maîtrise des matériaux et de leur transformation. Derrière la confection d’un vase se trouve une recette passée de générations en générations dans laquelle les gestes sont enseignés; de la collecte de l’argile jusqu’à sa cuisson, en passant par sa décoration.
Il faut savoir où aller chercher l’argile, quels matériaux il est possible d’y ajouter pour en altérer les propriétés, de quelle manière façonner la pâte afin d’obtenir un vase qui remplira bien ses fonctions et aussi comment le cuire. C’est pourquoi la poterie est si intéressante d’un point de vue archéologique. Elle sert de témoin culturel qui permet de dater grossièrement une occupation et d’identifier son appartenance culturelle.
À l’œil nu, il est possible d’analyser des attributs relatifs à la forme et au décor du vase, ainsi que quelques attributs relatifs à sa fabrication comme la couleur de l’argile et la taille des inclusions. La tomodensitométrie (CT-Scan) permet de voir à l’intérieur de la poterie, sans la détruire, grâce aux rayons X. Cette technologie permet d’analyser de nouveaux attributs, tels que la quantité et la forme des vides dans l’argile, ou la quantité et la taille des inclusions par exemple. Ces analyses offrent davantage d’indices quant à la recette utilisée pour façonner un vase et permettent de différencier différentes productions.
En Abitibi-Témiscamingue, on observe une transition entre les cultures Laurel orientale et Blackduck orientale autour de l’an 900 de notre ère. Plus précisément, la poterie blackduckienne semble avoir été rapidement adoptée par les groupes laureliens, sans phase transitoire apparente. La poterie de type Laurel est fine, aux parois lisses et décorées de petites empreintes rectangulaires ou ondulées. La nouvelle poterie de type Blackduck est plus grossière, les bordures sont repliées pour former un ourlet, les parois sont texturées et les décors sont faits à l’aide de petites cordes estampées dans une pâte encore très humide (Figure 1).
Ce changement peut difficilement s’expliquer par une migration, parce qu’à l’exception de la poterie on observe plutôt une continuité de la culture matérielle et de la manière d’habiter le territoire entre les deux groupes. Néanmoins, il est difficile de comprendre pourquoi une communauté abandonnerait complètement une manière de faire au profit d’une autre. D’autant plus qu’il ne semble pas y avoir de phase « hybride » entre ces deux types de poteries très distinctes.
Il est important de mentionner que ce qu’on appelle les cultures Laurel et Blackduck sont en fait des catégories archéologiques organisant la pensée plutôt que des cultures aux attributs complètement distincts. Dans les faits, tout indique une continuité entre ces cultures et la grande famille culturelle anicinabe actuelle. L’emploi de ces catégories permet de circonscrire dans le temps et dans l’espace des ensembles de cultures matérielles relativement distincts et de dresser une chronologie de l’occupation ancienne du territoire.
Figure 1 – À gauche, un vase de type Laurel. À droite, un vase de type Blackduck. Tous deux proviennent du site Nault (ClGt-2). Photographie de Guyane Beaulieu (2019). Source : Corporation Archéo-08.
Les images de tomodensitométrie obtenues sur un échantillon de 28 vases de type Laurel et de 39 vases de types Blackduck provenant de l’Abitibi-Témiscamingue ont révélé des similarités entre les deux ensembles culturels. Par exemple, même si le colombin (ou petit boudin d’argile) est un attribut technologique typiquement laurelien, son emploi est attesté sur quelques vases de types Blackduck. Ainsi, bien que les deux ensembles soient distincts, il subsiste une variabilité à l’intérieur de ceux-ci et plusieurs vases montrent des caractéristiques hybrides.
À la lumière des analyses effectuées, la transition technologique s’est opérée plus graduellement qu’il n’y paraissait. Les potiers/ères auraient développé la poterie de type Blackduck progressivement en s’inspirant des productions avoisinantes, notamment dans le bassin versant des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Davantage d’études seront nécessaires pour comprendre les raisons qui ont poussé à développer un nouveau style de poterie. Parmi celles-ci, il se pourrait que le maïs ait pris une part de plus en plus importante dans la diète locale grâce au commerce, modifiant les modes de préparation de la nourriture. Les potiers auraient graduellement développé un nouveau savoir-faire, par contact et par expérimentation, produisant un vase mieux adapté à la cuisson des aliments.
Figure 2. Vues d’un même tesson de vase blackduckien : a. Photographie, b. Radiographie interne, c. Reconstruction 3D du tesson, d. Reconstruction 3D des inclusions dans la pâte. Photographie de Guyane Beaulieu (2019). Source : Corporation Archéo-08 et INRS-ÉTÉ.
Pour en savoir plus, consultez le mémoire de maitrise de Guyane Beaulieu, disponible ici.