Photo qui coiffe le billet : Le lac Renault vers le sud. Photographie de J. E. Gilbert, 1947. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds Ministère de la Culture et des Communications, E6,S7,SS1,P63437.

Un texte de Guillaume Marcotte, historien

Le récit de la découverte du premier gisement d’or dans le nord-ouest du Québec a depuis longtemps été intégré à l’histoire minière de la province. On y présente généralement les découvreurs, deux Français d’abord établis à Ville-Marie au Témiscamingue, comme des pionniers aventureux pavant la voie aux futures découvertes minéralogiques des décennies qui suivront.

Auguste Renault et Alphonse Olier, qui ont laissé leurs noms respectifs à deux lacs situés près des lieux de leur découverte en 1906 au lac Fortune, sont en effet des personnages hauts en couleur. Bourlinguant d’abord en Amérique du Sud avant de devenir orfèvre et bijoutier au Témiscamingue, Renault, originaire de Normandie, a tout pour figurer dans un roman d’aventure. Dans ce court texte, nous nous attarderons cependant au côté caché de ses découvertes. L’histoire longtemps occultée de la contribution des Anicinabek à la connaissance des gisements miniers, d’une part, et leur l’absence dans l’histoire des mines de la région de Rouyn-Noranda.

Pour ce faire, voici un court récit de la découverte d’or au lac Fortune en 1906, qui laisse volontairement une place de choix à des extraits tirés de l’ouvrage d’Albert Leury, Histoire de Rouyn Noranda et de la fondation de l’industrie minière dans la province de Québec (1940), de même que d’une entrevue donnée jadis par Auguste Renault à l’auteur Damase Potvin, parue dans le journal La Patrie du 6 janvier 1946.


Source : La Patrie, Dimanche 6 janvier 1946, p. 46.

Renault et Olier n’en étaient pas à leurs premières armes en termes de prospection minière en 1906. Ils avaient d’abord exploré diverses régions du nord-est ontarien, déjà connu pour ses riches gisements miniers. Les deux comparses se doutaient bien que cette fameuse ceinture minéralisée ne se terminait pas abruptement aux frontières de la province de Québec. Établi à Ville-Marie en 1893, Renault commence à se laisser tenter par de nouvelles aventures, en aiguisant son intérêt pour les récits qu’il recueille :

« [Renault] avait interrogé les Indiens qui venaient des profondeurs de la forêt après leur chasse, s’informait de la situation géologique des terrains qu’ils parcouraient et des chemins qui y conduisaient. Dès le premier entretien et en étudiant la roche qu’ils lui avaient apportée, il avait reconnu cette pierre, c’était la pierre aurifère. Cette conversation fit une grande impression sur l’esprit de nos deux aventuriers » (Leury, p. 21-22).

Un voyage s’organise enfin au printemps 1906, en direction de la hauteur des terres, tout près de ce qui est aujourd’hui Rouyn-Noranda. Renault et Olier doivent faire halte au lac Opasatica :

« …arrivant au détroit de Polson, ils constatèrent que la glace n’était pas encore disparue et n’était pas assez forte pour le passage » (Leury, p. 22).Ils ne se laissent toutefois pas décourager, et découvrent vite, selon Leury, une « cabine de bois rond qui semblait abandonnée. […] Ils étaient là depuis quelques heures à peine que le propriétaire se présentait. C’était un grand Indien qui resta surpris de voir ces étrangers chez lui. D’un air menaçant il les somma de quitter les lieux » (Leury, p. 22).

Renault racontera plus tard en entrevue la suite des choses :

« En colère, il m’intima l’ordre de déguerpir. Je réussis à le calmer en lui faisant cadeau de quelques petits canifs et miroirs, que j’avais conservés de mon ancienne boîte de colporteur et que j’avais apporté avec moi, histoire de jouer avec les sauvages que je rencontrerais le rôle des anciens découvreurs du pays » (Potvin, p. 56)

Le détroit de Polson, sur le lac Opasatica. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Carte Pontiac Nord, deuxième édition, pour accompagner un deuxième rapport d’exploration de cette région publié dans les opérations minières de la province de Québec pour 1907 par J. Obalski, M. E. Surintendant des mines montrant les divisions projetées des cantons –Département de la colonisation, des mines et pêcheries (détail), 1907, Fonds Donat Martineau, 08-Y, P1/230.

Se faisant un émule de Jacques Cartier, Renault poursuit son voyage, non sans montrer encore sa dépendance aux renseignements fournis par les Anicinabek.

« … n’ayant qu’une vieille carte datant de 1744 et les indications fournies par les Indiens avant leur départ, ils commençaient leurs recherches » (Leury, p. 22).

Cette recherche mène les deux prospecteurs dans ce qui est aujourd’hui le quartier Arntfield. Renault explique dans son entrevue comment, même s’il dépendait des Anicinabek pour mener à bien sa quête, il se voyait toujours maître de la situation, et surtout des découvertes qui allaient en découler.

« Puis je continuai plus vers le nord, du côté du lac qui porte aujourd’hui mon nom, où je me livrai pour de bon au rude travail du piquetage. Mais là aussi je fus en butte aux tracasseries des sauvages, qui m’en voulaient d’être le premier blanc à fouler leur territoire de chasse… » (Potvin, p. 56).

Il en rajoute, deux fois plutôt qu’une :

« Enfin, à part les dangers de l’eau, la menace des loups, la persécution des indiens, j’eus à combattre les dangers du feu et je faillis périr à plusieurs reprises, cerné par des incendies en forêt » (Potvin, p. 56).

Puis, finalement, l’or surgit.

« Le 2 juillet 1906, ils posaient les poteaux de leur première découverte » (Leury, p. 22).

Signe d’une prise de possession du précieux métal, en bonne et due forme, le nom anicinabe du lac est ignoré, et vite transformé pour marquer l’histoire de cette découverte.

« … le lac qui n’avait pas de nom fut baptisé lui aussi de ce nom significatif [Fortune] » (Leury, p. 22).

La fondation de la Pontiac and Abitibi Mining Company, et la suite des opérations, appartiennent à une autre histoire… qui, elle, a déjà été racontée. Mais on peut déjà se questionner : comment et à qui attribut-on les « découvertes » minières dans la construction de l’histoire de l’Abitibi-Témiscamingue? Il semble bien que le rôle des Anicinabek, dans l’histoire minière de Rouyn-Noranda, reste encore à être écrite.

Le lac Renault vers le sud. Photographie de J. E. Gilbert, 1947. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds Ministère de la Culture et des Communications, E6,S7,SS1,P63437.