Photo qui coiffe le billet : La Messe sur l’Île du Chef Lac Temiskaming. Charles Alfred Marie Paradis, 1887. Bibliothèque et Archives Canada, 2937770.

Un texte de Guillaume Marcotte, historien

Le 14 octobre 1924, l’abbé Armand Fugère célébrait la première messe à Rouyn. Mais était-ce le premier prêtre à être vu dans les environs immédiats de la future ville? Il faut plutôt remonter quelque 86 années plus tôt pour y trouver le canot du missionnaire Louis Charles Lefebvre de Bellefeuille : le premier prêtre à être passé par ici…

Dans le premier tiers du XIXe siècle, le Bas-Canada a connu une remontée du projet missionnaire catholique, lié de près aux campagnes de tempérance et au mouvement ultramontain, désireux de redonner une place politique dominante à l’Église et à la foi catholique au sein de la société canadienne. C’est dans ce contexte que l’évêque de Montréal, Monseigneur Lartigue, décida en 1836 d’envoyer des prêtres missionnaires au nord de son diocèse pour convertir les Anicinabek à la foi catholique. C’est le père sulpicien Louis Charles Lefebvre de Bellefeuille qui héritera de cette tâche. Le secteur de l’actuelle ville de Rouyn-Noranda faisait alors partie de ce diocèse de Montréal, nouvellement créé, qui s’étendait jusqu’à la ligne de partage des eaux en Abitibi, dans les terres humides ou rocailleuses en amont de la rivière Kinojévis.

Jean-Jacques Lartigue, premier évêque de Montréal, J.E. Livernois photo, Québec [ca. 1830]. Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds J. E. Livernois Ltée – BAnQ Québec, P560,S2,D1,P639.

Bien qu’il soit passé dans le secteur des lacs Opasatica et Dasserat en 1837 (tout comme le père Silvie en 1686), le père Bellefeuille ne passa près du lac Osisko qu’en 1838. Cette année-là, son périple missionnaire l’avait amené encore une fois au lac Témiscamingue, puis il s’était dirigé vers le nord jusqu’au lac Abitibi. Après une semaine complète de mission auprès des Abitibiwinnik, il quitta le lac Abitibi le 25 juillet pour se rendre pour la première fois au Grand lac Victoria, où il désirait fonder une nouvelle mission pour les Anicinabek de ce secteur (Kitcisakik). Le missionnaire et ses canotiers s’engagèrent alors sur le lac Duparquet, avant d’entreprendre la traversée de la ligne de partage des eaux un peu à l’est. L’équipage missionnaire passa par le lac Dufresnoy, puis descendit ensuite le rivière Kinojévis. Ils passèrent le lac Routhier, à quelques kilomètres à peine de ce qui est aujourd’hui le centre-ville de Rouyn-Noranda, probablement dans les environs du 27 juillet. Ils atteindront le Grand lac Victoria le 2 août.

Joachim’s Portage, Lumberer’s Shanty on the Ottawa River. Philip John Bainbrigge, 1842. Source : Bibliothèque et Archives Canada, 2833558.

Les noms de tous les gens qui accompagnaient le prêtre catholique nous sont parvenus. Dans son embarcation d’écorce, le père Bellefeuille bénéficiait de l’aide d’Augustin Beauchemin comme gouvernail de canot, de Jean-Baptiste Sabourin comme devant de canot, ainsi que de Paschal Paul, Joseph Beauparlant et Dominic Patwe comme simples rameurs. Bien sûr, un guide anicinabe les accompagnaient. Il s’agissait de Charles Pashkijigan. Ce dernier naviguait dans un second canot, au-devant de celui de Bellefeuille, et il était accompagné de sa femme Sophie Mitassokijikokwe. Ils étaient probablement tous deux de la communauté de Kitcisakik. Quant au rameur Dominic Patwe, il s’agissait d’un Anicinabe du lac des Deux Montagnes, qui était aussi servant de messe pour le père Bellefeuille.

 

La Messe sur l’Île du Chef Lac Temiskaming. Charles Alfred Marie Paradis, 1887. Bibliothèque et Archives Canada, 2937770.

Le missionnaire catholique n’a pas laissé de mentions précises à propos du lac Routhier, sinon que cette partie de la région était truffée de « détours sans fin » sur les rivières. Néanmoins, plusieurs autres missionnaires parcoururent le même trajet dans les années suivantes, tels que les pères Du Ranquet, ou encore Laverlochère. De 1838 jusqu’aux premières découvertes de gisements de cuivre dans le canton de Rouyn au début du XXe siècle, bien peu de gens ont dû se douter que ce territoire allait bientôt drastiquement changer par l’arrivée subite et très rapide de milliers de nouveaux habitants…