Photo qui coiffe le billet : Le poste de traite de Revillon frères au lac Opasatica vers 1912. Source : G. B. Hull, 1912, Exploration of Northern Part of Quinze Expanse Basin, p. 159.

Un texte de Guillaume Marcotte, historien

Depuis 2020, la Corporation de La maison Dumulon compte parmi elle une équipe multidisciplinaire qui se penche sur divers aspects de l’histoire en Abitibi-Témiscamingue. Elle mène des recherches dans des fonds d’archives peu connus, explore le territoire pour y localiser des sites historiques intrigants, et prépare même des interventions archéologiques, dans le cadre de plusieurs projets en cours. Dans ce billet de blogue, nous souhaitons amorcer la diffusion de nos découvertes, de nos coups de cœur, mais aussi susciter l’intérêt du grand public pour ces petits bijoux d’histoire et de patrimoine liés à ce beau territoire.

Nous connaissons tous l’importance historique de la traite des fourrures en Abitibi-Témiscamingue, dans les siècles passés. En revanche, peu de gens savent que cette pratique s’est poursuivie ici jusque dans les premières décennies du 20e siècle. L’une des entreprises faisant à cette époque tardive le commerce des fourrures dans la région de Rouyn-Noranda était connue sous le nom de Revillon frères. Il s’agissait d’une entreprise française, fondée à Paris en 1839. Dès 1901, elle décida d’implanter une série de postes de traite dans plusieurs régions nordiques du Canada. Sa présence en Abitibi est très peu connue, et elle a même été parfois remise en doute par certains historiens ou archéologues. L’un des points de départ à cette question était la présence, sur une carte de 1907, de la simple inscription du nom de «Revillon», quelque part au nord du lac Opasatica, près de l’actuelle ville de Rouyn-Noranda.

Localisation du poste de Revillon frères au lac Opasatica, d’après J. Obalski. Voir la source du document[1].

Avant son décès survenu en 2014, l’archéologue Marc Côté s’était déjà intéressé à la question de la présence de Revillon frères à cet endroit, et avait émis l’hypothèse que le poste de la société française avait probablement été construit sous l’actuelle route 117, juste au nord du lac Massia. Selon cette hypothèse, que Côté n’a malheureusement jamais eu la chance de tester, Revillon frères aurait acheté au tournant du 20e siècle l’ancienne maison du prospecteur et chef anichinabé Ignace Tonené, qui résidait à cet endroit depuis les années 1880.

Intérieur d’un poste de traite de Revillon frères.
Source : A. L. Belden, 1917, The Fur Trade of America and Some of the Men Who Made and Maintain It, p. 237.

Il n’en fallait pas plus à notre équipe pour tenter de trouver de nouveaux indices afin de valider, ou d’invalider, l’hypothèse du poste de traite enfoui sous la route transcanadienne… Après plusieurs faux pas, et fort heureusement, nous avons réussi à dénicher quelques précieux documents permettant de confirmer que le poste de Revillon frères avait bel et bien existé à la Hauteur des Terres, près du lac Opasatica, mais qu’il avait plutôt été construit assez loin de l’actuelle route 117, et donc possiblement en un endroit qui pourrait permettre des interventions archéologiques.

Vue extérieur sur deux édifices en bois rond. Photo en n&b.
Le poste de traite de Revillon frères au lac Opasatica vers 1912.
Source : G. B. Hull, 1912, Exploration of Northern Part of Quinze Expanse Basin, p. 159.

Construit près de la portion nord du lac Opasatica en 1906, le poste de traite de Revillon frères semble avoir opéré au moins jusqu’en 1910. Il servit d’ailleurs à approvisionner les premiers prospecteurs venus en Abitibi, dont les fameux Ollier et Renault, deux hommes à l’origine de la découverte du gisement d’or Fortune, à Arntfield. Les prospecteurs et aventuriers qui le fréquentaient avaient aussi donné un joli surnom au poste de traite : frog town. Il s’agissait peut-être d’une allusion au terrain inondable où il était situé, ou encore à l’origine française de la compagnie de fourrures. Quoiqu’il en soit, on pourrait assurément dire que cet établissement symbolise à merveille le maillon reliant deux grandes activités économiques ayant marqué l’histoire de la région de Rouyn-Noranda : la fourrure et les mines! ♦


[1] Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Carte Pontiac Nord, deuxième édition, pour accompagner un deuxième rapport d’exploration de cette région publié dans les opérations minières de la province de Québec pour 1907 par J. Obalski, M. E. Surintendant des mines montrant les divisions projetées des cantons –Département de la colonisation, des mines et pêcheries (détail), 1907, Fonds Donat Martineau, 08-Y, P1/230.

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